mardi 19 juin 2012

La Guetna

Extrait de l'ouvrage d'Odette du Puigaudeau, Tagant au coeur du pays maure (1936-1938), édition Phébus 1993



"... La guetna, ce n'est pas seulement la récolte et le marché des dattes. C'est ce qu'on pourrait appeler le temps social de l'année. C'est le temps des repas, des loisirs, des danses, des palabres en commun, des rencontres avec des parents, des amis oubliés, des étrangers de pays lointains qui apportent des nouvelles passionnantes. C'est l'occasion de marier sa fille, de rendre gorge à un débiteur récalcitrant, de régler un vieux litige, de vendre, d'acheter, de discourir, d'intriguer, de divorcer...

... La guetna est aussi, dans tout l'Adrar, le Tagant, l'Assaba, une des plus importantes manifestations économiques de la vie maure. C'est là, et par le moyen du troc, que les tribus sahariennes se procurent, en échange de leurs dattes, les céréales qui leur font défaut et que leurs propres cultures, le commerce, la traite du sel, de la gomme et du bétail, ne suffisent point à leur assurer..."

lundi 11 juin 2012

La cérémonie du thé

Extrait de Paysage Maure de Paule Valette, édition Terre du ciel



Le cérémonial du thé rythme plusieurs fois par jour le temps mauritanien. Il n’est pas de circonstance publique d’où il soit exclu, qu’il s’agisse de transaction commerciale, de demande en mariage ou de circonstance privée.
  
Le thé ? C’est un thé vert de chine "8147" et on boit non pas un, mais trois thés à la suite. Ceci représente l’ossature de la cérémonie, mais l’art des mauritaniens consiste à rendre ces moments inoubliables à leurs hôtes . Pour que se déroule cette lente liturgie, les conditions requises sont au nombre de trois. Les fameux 3 J : Jmar, Jar, Jmaa., ce sont les braises du charbon de bois dans le "canoun" sur lesquelles on pose la petite théière d’étain pour chauffer l’eau.
  
Le mot jar indiquant la lenteur qui est employée dans ce contexte en référence à la danse du même nom, où l’élément marquant est précisément l’extrême lenteur du mouvement. Lenteur de l’infusion des feuilles de thé additionnées à la menthe verte, libérant leur arôme subtil . Le rythme auquel les trois verres sont préparés indique par sa lenteur ou sa vivacité, si la jeune fille veut retenir ou non l’homme en visite : si elle le désire, sa présence silencieuse, faire durer le rituel deux heures parfois. Et on absorbe alors dans le même temps, le liquide parfumé, les regards dérobés et le ballet harmonieux des mains fuselées expertes en l’art de dresser à chaque verre sa belle collerette de mousse .La jeune fille peut faire étirer le temps ,d’autant plus que le jeune homme courtois ne doit pas prendre congé avant qu’elle n’ait rincé, essuyé chaque petit verre, nettoyé le plateau, remis tout en place, rangé le nécessaire à thé sous un napperon. Alors seulement, l’homme peut s’en aller.
  
Jmaa signifie le groupe, l’assemblée, car on prépare rarement le thé pour une seule personne. Cette boisson est le fil reliant les uns aux autres, les présents, et la petite théière généreuse distribue à chacun son breuvage âpre comme la vie, doux comme l’amour, suave comme la mort : ce qui semble constituer les préoccupations essentielles d’un humain... jusqu’à l’extrême dernière goutte, "la larme de miel". Le thé ponctue chacun des actes de la journée. Il a toujours un côté un peu solennel au début du rituel mais bien vite, le premier verre bu, llacrité du discours reprend ses droits. J’ai remarqué que la qualité de la discussion va toujours de pair avec un thé réussi.
  
Préparation : prendre approximativement une cuillère à café de thé vert par convive, la mettre dans un verre à thé, porter à ébullition l’eau de la théière et rincer la quantité de thé nécessaire, afin de lui ôter son excès d’amertume. Cela donne un liquide verdâtre appelé "tichlile". Un deuxième rinçage est souhaitable. Cette fois le liquide obtenu est plus ambré, il servira au dosage du troisième thé. On verse dans la théière la quantité d’eau nécessaire pour servir largement les convives et même un retardataire éventuel. On dépose la théière sur le feu, attendant le frémissement de l’eau pour y jeter une poignée de menthe fraîche et du sucre. On laisse infuser le tout quelques instants avant de tester la qualité du breuvage : trop de thé, on rajoute sucre et eau ; trop de sucre on rajoute un peu de thé. On sert alors le premier verre en versant de très haut et avec une précision parfaite. Pour préparer les autres thés, on répète les mêmes opérations, en diminuant chaque fois la quantité du sucre.

samedi 9 juin 2012

La condition des femmes

Extrait de Paysage Maure de Paule Valette, édition Terre du ciel

  
Ouvrir ce chapitre sur la femme c’est, à n'en pas en douter, prendre le risque de rencontrer en face de soi les préjugés les plus répandus, résumés en une phrase péremptoire et sans nuance : l’islam asservit la femme. Or, je rencontre en Mauritanie bien autant de femmes épanouies qu’en France.
Peut-être parce que, très réalistes, les premières ne demandent pas à un homme d’être à la fois le compagnon, l’ami, le parent, l’enfant, l’amant, le mari, etc., et qu’elles ont l’art de tirer parti de ce qu’elles ont, et qui, à bien y regarder, est une grande liberté, si on ne laisse pas prendre au verbe masculin et à l’envol des boubous bruissants. Il me semble même que la société mauritanienne en soit à une phase matriarcale de son évolution. J’oserai dire que cette société se " ressent ", s’appréhende elle- même de cette manière dans des faits en apparence anodins.
  
On a le sentiment que la femme est partout présente, elle a son propre ministère de la condition féminine ; des femmes exercent les fonctions de ministre, professeurs ou directeurs d’établissements. Les festivités mêmes semblent réservées à leur usage, non à celui des hommes.
  
Le baptême, par exemple, est un moment féminin par excellence et les deux tiers des cérémonies du mariage sont vécues seulement entre femmes ; les hommes n'y participent que pour les nuits de noces. Il est d’ailleurs un fait avéré que rien dans le quotidien de la vie ne rapproche les conjoints. La séparation des sexes est totale, chacun vivant avec ses semblables, les hommes entre eux, les femmes entre elles ; on se retrouve pour passer la nuit ensemble. Les femmes mauritaniennes sont très libres de leurs allées et venues et se réunissent quand elles le désirent pour d’interminables papotages autour du thé. Dans la vie quotidienne, si une jeune femme veut se rendre à un mariage et que son propre mari ne connait pas le marié ou qu’il soit plus jeune que cet homme, le mari ne pourra pas - socialement parlant - accompagner sa femme à la cérémonie. Il n’est pas concerné et, pour des raisons de convenance, de code social, devra rester à la maison. Sa femme se rendra seule à la fête.
  
A l’inverse, si c’est un ami du mari dont on célèbre les noces, quel que soit son âge, même si le futur marié et son épouse lui sont totalement inconnus, la jeune femme peut sans problème accompagner son mari. La société admet parfaitement qu’une femme sorte pour se distraire sans la présence de son mari, elle n’admet pas en revanche qu’un homme puisse sortir sans sa femme.
  
De la même manière, une femme peut dire à son mari : " c’est les vacances, je voudrais que tu achètes des billets d’avion. Je veux partir avec les enfants. " Le mari obtempère même si lui ne part pas, retenu par ses obligations professionnelles. La femme voyage seule et ce n’est un problème pour aucun des deux.
  
Par contre, l’inverse est impossible. Un homme ne peut pas dire : " Je suis fatigué, j’ai envie de prendre quelques jours tout seul ". Ou il doit renoncer à partir ou il doit emmener sa femme. Le poids des us et coutumes est important, c’est ainsi : un homme ne voyage pas seul pour se distraire.
  
Bien sûr, un coup d’œil superficiel porté sur le salon qui bruit peut faire penser à une ségrégation des femmes ; il n’en est rien, c’est une ruche bourdonnante où chacune s’exprime, les conversations y sont - très - libres et les confrontations d’expériences ponctuées de fous rires ; on ne se sent pas là au milieu de personnes muselées ou réduites à l’état d’objet.
  
Au fond, la Mauritanienne n’a pas du couple qu’elle forme avec son mari une image fusionnelle mais se montre d’un grand pragmatisme, et l’on pourrait parler sans jouer la provocation non pas des droits de la femme mais bien, ici, me semble- t’il, de ceux de l’homme ! Car à l’intérieur de la maison, il ne semble pas en avoir beaucoup et sa propre épouse ne paraît guère s’occuper de lui. A cause de ce fameux code culturel, elle ne doit rien laisser paraître en public des sentiments positifs qu’elle peut éprouver. Le dédain, la désinvolture, oui. Il rentre las de son travail, accablé de soucis et responsabilités ? Il faut jouer le détachement, ne pas voir sa fatigue, appeler pour qu’on lui apporte de quoi se rafraîchir : Zrig !
  
Lorsqu’on annonce à une vieille femme que telle jeune fille va se marier, la première demande inquiète soudain : " Elle n’est pas amoureuse, au moins ? ", ce qui signifie non pas qu’elle souhaite une totale absence de sentiments mais qu’il serait un rien vulgaire de dévoiler lesdits sentiments en se montrant empressée ; une telle attitude serait très mal perçue.
  
L’affection, l’attachement, l’homme a le devoir de les démontrer, la femme non, elle doit seulement se laisser courtiser. " Un homme, c’est un animal que vous tenez en laisse ", me dit cette belle jeune femme sûre de son pouvoir.
  
Depuis toujours le discours des mères à leurs filles est identique et a induit un comportement qu’on pourrait taxer de léger, voire de capricieux : " Un homme est un ornement pour la femme : il vous plaît, il est beau, il vous convient ? gardez- le ; le jour où il devient sale à vos yeux, jetez- le. "
  
D’autres témoignages sont moins catégoriques et toute une gamme de comportements existe en Mauritanie aussi. Certes, dans certains couples, la femme n’a toujours pas droit à la parole. Mais dans le même temps, des hommes et leurs épouses ont fait de l’alternance des responsabilités et de l’appui mutuel leur objectif. Généralement, l’homme n’a pas le droit d’élever la voix chez lui, car s’il lui arrive de parler trop fort, sa femme peut le quitter immédiatement et retourner dans sa famille. Elle peut d’ailleurs menacer de partir pour un prétexte futile : obtenir un cadeau, par exemple - car la femme mauritanienne semble un peu... intéressée. Suivant les moyens matériels de l’homme, cela peut n’être qu’un simple bijou, mais parfois c’est une maison ou une voiture, moyen de chantage, bien sûr, mais façon de voir si elle tient toujours la situation en main ; le mari se doit de répondre positivement s’il veut conserver son épouse.
  
Et si, malgré tout, la femme part dans sa famille, alors son mari doit la suivre, gardant ainsi une infime chance que la brouille ne dégénère pas davantage. Si elle part et qu’il ne la suive pas, tout est rompu ; cela devient un scandale et le divorce est systématique. " Rendez- nous le cou de notre fille ", dit- on au gendre par allusion à l’animal retenu au moyen d’une corde attachée à l’encolure. Si le mari, lui, ne veut pas divorcer, on se moque : " Elle ne l’aime plus, il s’accroche, ce n’est même pas un homme ", et si, divorcé, il omet de donner l’argent nécessaire à l’entretien de ses enfants, alors il signe son arrêt de mort sociale ; plus aucune famille ne voudra qu’il courtise sa propre fille, car ce qu’il a fait à l’une - démonstration de sa pingrerie - il peut le faire à une autre : s’abstenir. Les femmes veulent de l’argent pour elles et pour leur propre famille.
  
On divorce beaucoup en Mauritanie et c’est très souvent la femme qui demande et obtient satisfaction sans problème. Ces divorces successifs sont d’ailleurs la signature de son charme. Plus elle se marie, plus la preuve de sa séduction est irréfutable. Elle est indomptable.
  
Depuis leur enfance, les petites filles entendent un discours formateur : " Essayez toujours de tout arranger avec votre mari ". Il vaut mieux, en effet, que la famille soit tenue à l’écart de certaines choses qu’elle ne supporterait pas et qui amènerait l’irrémédiable. " Mais il y a trois faits que vous ne devez supporter sous aucun prétexte :
  
- "Votre mari vous parle sur un ton autre que celui de la courtoisie et commence, par exemple, à remarquer un grain de beauté mal placé ou votre nez un peu trop droit (ou trop épaté). S’il ne vous voit plus avec les mêmes yeux c’est qu’il veut se séparer. Ne pas insister ! "
- L’argent - la femme mauritanienne en a toujours besoin : " Il a de l’argent. Il ne vous en donne pas assez ! Inutile de rester avec lui. "
-" Il vous trompe ? Faites tout pour qu’il ne le fasse pas, mais s’il le fait, pliez bagage et partez. S’il vous a trompée une fois, il recommencera. "
  
Le seul point auquel la femme ne puisse rien opposer est le divorce exigé par le mari, et qui peut arriver sans crier gare. Il lui annonce " qu’il la divorce " ; encore mariée le matin, à midi elle peut être divorcée puisque la procédure est réduite au minimum : une lettre. L’islam recommande par contre de ne pas divorcer d’une femme avant le retour de couches. L’homme peut parfaitement divorcer et se remarier au cours de la même semaine. La femme, elle, ne pourra convoler à nouveau qu’après l’expiration du délai de viduité de trois mois.

vendredi 8 juin 2012

Lettre ouverte à un chameau


Habib Ould Mahfoud, lorsqu’il signe ses premiers articles dans la toute jeune presse indépendante, fait suivre sa fonction sociale : professeur de français. Si l’on trouve sous sa plume des accents qui pourraient nous paraître empruntés à Rabelais, Voltaire et San Antonio, nous ne devons donc pas nous en étonner outre mesure.

Devenu rédacteur en chef du premier journal d’opposition de Mauritanie LA CALAME, il décrit une société en plein transformation et parfois avec des accents déchirants. nous vous livrons ce texte en prose, facilement accessible pour les Mauritaniens et véritable chronique politico-sociale.

 

"La critique n’est pas action, elle se borne à suivre l’action" (Ludwig Feuerbach)

Mon cher chameau,

Je sais déjà qu’il n’est pas facile d’être un chameau par les temps qui courent. Tu bosses suffisamment dur pour pouvoir penser à autre chose. Mais je suis sûr que tu me pardonneras, du fin fond de ton désert, de t’avoir adressé cette lettre.

Je t’écris, en fait pour ne rien dire. C'est génial n’est-ce pas ? D’abord ne t’inquiète de la citation mise en exergue. Ca ne veut rien dire. Il est vrai que ce Feuerbach n’est pas con... Enfin pas plus qu’un autre... ça ne justifie rien. Tout au plus cela traduit notre incapacité intellectuelle actuelle à produire nous-mêmes et par nous-mêmes.. Nous sommes retombé dans un moyen âge intellectuel où le Magister Dixit est plus actuel que jamais. Nous sommes devenus des consommateurs à temps plein.. Mais nous ne consommons que des sous produits, des déchets. toxiques.

Notre espace culturel est un triste théâtre où des jeunes à la moustache Nietzschéenne marchent sur les pieds de vieillards égrenant des chapelets de citations moyenâgeuses.

Chacun se démène sur scène, crie, interpelle , accuse, recuse , excuse ,exige, oblige , s’érige... devant une salle vide. Le public est parti, lassé de ces singeries. L’orchestre de "l’élite" noie cette mascarade dans une cacophonie que personne n’écoute.

Chameau notre culture n’est plus qu’un bout de papier... dans une cuvette de WC. Nous sommes passés maître de la singerie, de la représentation. La presse, le conformisme, le confort intellectuel, le psittacsisme sont nos maîtres-mots.

Nous nous enivrons d’ersatz importés. Nous nous gavons d’idéologies cuisinées dans les Mac Donald’s de la médiocrité universelle.. Nous mâchons des chewing-gum que d’autres ailleurs ont craché il y a longtemps.

Chameau, nos vêtements nous les cherchons dans les magasin de prêt à porter. Et nos idées dans les magasins de prêt à penser.

Tout ceci pour te dire que j’ai eu recours à un allemand pour exprimer une idée que n’importe quel chameau aurait pu trouver en ruminant.

Excuse-moi, très cher de te faire perdre quelques années de ton temps précieux.. Encore heureux que tu n’aies pas de montre.. Tu sais cet objet diabolique qui mesure le temps, qui nous conditionne tellement que je me demande si ce n’est pas lui qui nous a inventés. A propos suis-tu régulièrement tes cours d’alphabétisation ? Ne me dis pas que tu as toujours su lire et écrire ce n’est pas vrai. Je sais qu’il est frustrant pour un adulte de quitter ses certitudes et son confort imbécile pour apprendre à lire et à écrire. On se demande toujours à cet âge à quoi sert l’instruction... surtout lorsqu’elle est sans finalité... Bon pendant que tu y es, inscris aussi ta grand-mère comme ça elle pourra au moins écouter les actualités du mercredi soir sur Radio-Mauritanie.

Mon cher Chameau, à part ça, ça va . Ton neveu va bien. Je l’ai vu l’autre jour. Il m’a dit avoir traîné sa bosse un peu partout : Golfe, Lybie, Sénégal. Il a été engagé comme chauffeur de taxi. Et c’est un travail qui rapporte. A Nouakchott il y a si peu de taxis et tellement de gens que j’ai proposé à quelqu’un de haut placé que dorénavant, ça soit les personnes qui transportent les voitures. C’est plus économique et ça résoud le problème. Nous nous mettrons tous des vignettes sur le front et une plaque sur la tête. Et les voiture lèveront la roue avant pour nous arrêter.

L’autre jour, j’ai entendu qu’à partir de janvier 89, il faudrait un permis pour conduire les chameaux.. Tu imagines TUUUT ! Stop ! Police ! Papiers ! Hop ! Que ça saute ! Frein à main ! Clignotant ! Descendez ! Qu’est ce qu’il a dans le ventre de votre chameau ? Assurance ? Surcharge ! Il y a une personne de trop !Dis, tu imagines ça ? Un chameau s’arrêtant aux stops, pillant aux feux rouges, freinant des quatre pattes pour ramasser une belle jeune femme à côté du marché ?

Ce serait sublime… Arrêtons de rêver...

Tu ris, tu ris chameau... Et tu as tort. Parce qu’au fond cette vie me plaît. Parce que ce n’est qu’une transition. Parce qu’elle disparaîtra d’elle-même. Parce que la situation est difficile mais pas désespérée…Parce que des hommes et des femmes croient toujours en leur pays, malgré la rhétorique imbécile, malgré le discours nébuleux, les idéologies périmées, les analyses tautologiques. Malgré les contraventions dressées aux chameaux, l’alphabétisation des vaches, la vente des bouses aux supermarché, le soutien-gorge imposé aux chèvres.

Malgré le poisson qu’on exporte pour importer ensuite, notre fer qu’on vend pour pouvoir acheter après. Malgré ces hommes d’affaires qui ne font pas d’affaires, ces directeurs qui ne dirigent pas, ces millionnaires qui mendient, ces athlètes paralytiques. Oui chameau, nous espérons. Et nous avons raison d’espérer.

Chameau, entre tes dunes poudreuses et tes étoiles tristes, tu dois bien t’ennuyer… Viens ici à Nouakchoott, amène ta famille, tes voisins, ton berger même s’il le faut, ce tortionnaire sadique ? Viens. Prends du papier journal, un jerrican, une boîte de haricots vide et plante ta barraque où tu voudras.. Je te vois bien marcher de ton pas altier au marché du 5ème entre les vendeurs de voiles et les vendeuses de boubous. Fais comme tout le monde. Tu es Mauritanien toi aussi bon sang ! N’oublie pas ta carte d’identité, ta nationalité, ton casier judiciaire et colle-toi un timbre de 50 Ouguiya sur la gueule. Ainsi tu ne pourras plus l’ouvrir et tu auras l’air d’une demande manuscrite.

Chameau, mon frère chameau. Ne viens pas, si tu veux… Je te comprends, nous te comprenons ; comme toi nous avons connu l’ivresse des espaces transparents, des infinis bleutées.

Nous avons bu les clairs de lune, comme toi… Comme toi nous avons trouvé des mirages, cherché des ailleurs qui n’existent nulle part… chameau et nous avons su que la poésie est l’exigence d’un monde qui n’est pas le nôtre et nous sommes partis.

Et mon pays, chameau, et mon peuple, se sont révélés un long, long poème inachevé. Un poème se faisant lui-même, vivant, bâtissant sa chair de sa chair, respirant le monde vibrant au rythme de son propre parfum.

Et moi, et toi, et nous, ne sommes en fin de compte que des traîtres et des apostats. Salut.

Habib Ould MAHFOUD