jeudi 23 août 2012

Le désert... raconté par Mona


Le désert... J’ai eu la chance de réaliser un de mes rêves et d’y aller. La Mauritanie, l’Afrique, telle que je la ressens, telle que je l’aime. Rencontre avec l’autre, paysages infinis que tant d’écrivains ont décrits bien mieux que moi. Mes photos ne rendent pas ce que j’ai vécu, perçu, aimé.

J’en regarde une sur le fond d’écran de mon ordinateur. Comme ici il fait nuit et que le silence absolu règne dans la maison et au dehors, je pénètre l’écran, je sens le sable soyeux sous mes pieds nus et le léger ronronnement du disque dur ressemble au souffle ténu du vent de la nuit. Avec un peu d’imagination, j’y suis, je me recentre, me ressource et j’y demeurerais bien si, comme Alice, je pouvais passer de l’autre côté du miroir.

Autant je me sens d’Irlande, de ce pays d’eau et de vent, autant je me sens noire à l’intérieur et j’appartiens aussi à cette terre lointaine et aussi torride et sèche que l’Irlande est froide et humide.

Nous voilà donc de retour de cette marche dans le désert que jes ouhaitais partager depuis si longtemps avec mes petits-fils, avide de leur transmettre quelque chose avant de m’en aller.

Un voyage magique dont j’ai un mal fou à me remettre.

Nous avons une chance inouïe de vivre ici dans nos pays si riches, mais quelle terrifiante beauté ce désert à n’en pas finir qui m’a mise devant mes limites, m’a dévoilé ma face cachée et celle des miens dans le pire comme dans le meilleur. Quelle gentillesse que celle de ces gens qui n’ont rien et savent tellement bien rire... d’un rien !

J’ai tiré profit de mes insomnies habituelles pour me laisser imprégner des levers de soleil alors que tout le campement dormait encore, le silence seulement troublé par l’aboiement lointain d’un chacal et par le bruissement de toute une vie frémissante enfouie sous le sable.

J’étouffais des jurons silencieux lancés contre le mince matelas de mousse qui me cassait le dos et je me relevais dans des positionsgrotesques.

Aucune douleur ne subsistait lorsque se révélait la beauté qui s’étalait devant mes yeux sous la pleine lune froide qui ne pouvait arriver à éteindre le ciel étoilé.

Je restais là, silencieuse, figée, à attendre l’instant magique : lalumière rose-orangée du lever du jour qui monte doucement et rend les dunes dorées. Je voyais crépiter le feu des chameliers affairés à nous préparer la galette cuite sous la braise.

Aucune de mes photos ne rendra jamais ni la majesté du Connemara, ni l’étendue aride et pourtant si vivante du désert, ni la magie des étoiles qu’on peut enfin distinguer.

J’aurais eu l’impression de commettre un sacrilège si, à ce moment, j’avais pris l’appareil.

Rien non plus ne pourra exprimer le sentiment qui m’a envahie lors de la rencontre d’un regard de femme de là-bas qui, pour je ne sais quelle raison, a capté le mien, s’y accroche et, par ce regard, nous nous sommes comprises, sans échanger un seul mot, ses mains entre mes mains, juste un moment.

Mes petits-fils, superbes d’intégration dans un milieu si inconnu et si éloigné du leur, le cœur sur la main, ne rechignant pas lorsque la galette du matin se révélait ensablée, ni en dégustant le plat de chèvre un peu trop saignante, mais si succulente et préparée pour nous avec tant de gentillesse.

Pas une plainte, sous le soleil de plomb, pour le manque de confort et les levers aux aurores.

Ils se fondaient dans le paysage, sans frayeur à l’idée de dormir seuls, là-haut sur la dune.

Ni la rencontre d’un scorpion égaré et vite occis, ni la menace du serpent ne les ont troublés. Dans des gestes millénaires gardés en mémoire, comme si j’étais là-bas depuis la nuit des temps, je ferlais la toile de la tente comme on ferle une voile, dans le même vent et le même silence qu’en mer.

Notre guide d’une intelligence émotionnelle rare, les a pris sous son aile bienveillante et tranquille, donnant à chacun sa place d’homme parmi les hommes et sachant les écouter dans leurs silences.

Il m’a dit : « ne t’en fais donc pas, ils sont bien.»

Devant mes inquiétudes et mes questionnements, cette autre phrase : «ce que tu demandes au désert, il te le donne.»

Nous avions un cuisinier au cœur d’or et les chameliers étaient toujours tellement joyeux que je me demandais parfois si ils ne se forçaient pas: mais non, ils allaient, un pas à la fois, heureux et confiants en la bonté d’Allah qui leur envoyaient ces touristes et cet extraordinaire orage qui emplit les oueds après 5 années de sécheresse.

J’aimerais que mes petits-fils considèrent la vie comme la grande dune qu’ils ont gravie : belle, haute, souvent difficile, où l’on s’écroule et on croit que l’on n’y arrivera jamais.

Pourtant, on y arrive, pourtant, ils y sont arrivés.

Il y a plus de courage en nous qu’on ne le croit.

Moi, je ne l’ai pas gravie cette dune de sable si haute, car à ma façon, tout au long de mon existence, je l’ai gravie plus d’une fois !

En les attendant au campement, je me suis octroyé un peu de repos, j’ai eu la joie immense de les regarder accomplir cet effort librement consenti et de les voir, si fiers, à leur retour.

En les attendant, les images défilaient en moi : les grands lacs d’Irlande et les hautes dunes de la Vallée blanche, les bruyères mauves et gorgées d’eau et les puits asséchés, les moutons aux museaux noirs et les chèvres faméliques, les buveurs de Guinness et la sobriété des hommes du désert, les femmes peinant aux champs empierrés et les femmes voilées de noir qui nous vendaient leurs maigres ressources, tous et toutes solidaires dans nos différences.

Mona

lundi 13 août 2012

Ainsi suis-je...

Poème de Mohamed Fall Attalba

Ami ! Arrête-toi… et regarde, du côté de la sebkha de en Nîsh
Si tu aperçois des chameaux (montés)
Arrête-toi… et explore l’horizon : tu as de meilleurs yeux que moi ;
(regarde) Ne vois-tu pas passer les palanquins de Su’da
Ne vois-tu pas des chameaux (montés) ayant quitté à l’aube les dunes d’Al Mawj, se dirigeant vers Azzivâl,
En traversant la passe de Zali ; ils portent des beautés dont la coquetterie et la ruse sont redoutables.
Hâtons-nous maintenant : il faut rejoindre les palanquins avant que la caravane n’ait atteint les difficiles dunes molles
Il dit :  Il n’y a pas, parmi les palanquins de tête, celui de Su’da…
d’ailleurs, s’adonner aux passions, aux péchés, c’est une folie pour un vieillard… ! »
Je répliquai : « les palanquins ont déchaîné, aujourd’hui,
un chagrin indifférent à l’âge, aux cheveux blancs.
Si ta vue ne t’a pas trompé, il nous faut attendre les derniers palanquins
Arrête donc ta chamelle et attends avec moi, ou alors laisse-moi seul et va-t-en, ayant trahi toute amitié.
J’ai, dans ces palanquins, - si tu savais – un chagrin que le temps ne saurait apaiser :
Ma Su’da est dans les palanquins, et Su’da c’est mon mal et le seul remède à ma peine.
… Oh ! mes amis. Comme elle a su se montrer faible, fragile, vulnérable ! C’est pourtant moi qu’elle a tué ainsi, sans se préoccuper de ma perte !
Elle était dans un campement qui nomadisait vers les pâturages d’Alkarb après ceux des dunes, parmi ses compagnes, des beautés (des tribus) de ‘Abnâ’Mûsâ,
al A’Mam et al Akhwâl, (Femmes) aux attaches souples, aux fronts pudiques, belles comme les antilopes du désert
Chastes, adorées… Ah ! les belles parures d’un beau campement…
Celui des Ya’qûba, * les plus nobles des hommes, ceux dont les moments difficiles révèlent la valeur.
Ô Ya’qûba, lancez-vous à la conquête des cimes, soyez toujours prêts à affronter toutes les attaques du sort
Que votre devise soit l’amour de la vérité, la patience et la sobriété, et l’intégrité votre principale richesse.
soyez prompts à soutenir le Bien et à combattre le Mal, vous élevant ainsi aux plus hautes vertus
Ne vous pavanez pas orgueilleusement : ce n’est qu’ainsi qu’on monte vers la gloire. Les sommets les plus inaccessibles ne sont atteints qu’au prix des plus durs efforts.
Bannissez l’avarice, la faiblesse, la bassesse… toutes qualités des gens de peu.
Mes vieilles blessures d’amour se sont rouvertes à la vue d’un campement en déplacement avec ses baldaquins, à ‘Inâl,
Des palanquins dont les silhouettes, en disparaissant au loin, évoquaient les hautes cimes des palmiers de Kenawal.
Ils emportaient mollement leurs belles occupantes à travers Marawra, la petite colline du Tairalâl,
Laissant sur leur droite Timezgîn, dans la matinée, et sur leur gauche Techlâ
Elles passèrent ainsi sans s’arrêter devant atTu’âm, emportées par le pas rapide de leurs beaux chameaux,
Puis d’où les pâturages de Tîras deviennent – mais difficilement – accessibles
… Si tu les voyais (ces beautés) tu comprendrais que le Sage subjugué par leurs charmes ne peut être l’objet de blâme.
Il me souvient d’un temps où les femmes ne dédaignaient pas mes hommages
Je les vois, maintenant, qui se détournent lorsqu’elles remarquent des cheveux blancs sur mes tempes.
Si tu me vois aujourd’hui – Ô ‘Umaîma – fatigué, affaibli, usé,
Il fut pourtant un temps où j’étais dans les grandes épreuves l’Espoir, lorsque les faibles perdaient leur sang-froid ;
Il fut un temps où j’étais, dans les Assemblées, un arbitre lorsque la sobre retenue des sages était rehaussée par les divagations des sots.
Que de fois j’ai fait affronter à de fiers compagnons, le souffle terrifiant du Semoum.
… Ils marchèrent sans arrêt toute la nuit ou presque, puis s’arrêtèrent au pied de petites collines.
Le sommeil semblait les avoir grisés,
Tel un vin frais qui ramollit toutes les articulations
(Ils gisaient) au milieu de leurs montures que la fatigue rendait inertes…
Je veillai pour les garder, et leur servis à satiété du méchoui préparé avec soin
Puis je les ai de nouveau réveillés, après leur avoir permis de réparer leurs forces.
(Ainsi suis-je : lorsque mes compagnons sont épuisés, je les sers sans faiblesse)
Ils se levèrent en sursaut, celui-ci se rhabillant en vitesse, celui-là encore accroupi, un autre debout, encore hébété
Ils se levèrent… et virent poindre un jour au soleil ‘borgne’ impitoyable
Ils se regardèrent en se disant : « où est le salut ? Où aller ? » et leurs cœur se remplit d’épouvante.
Je dis : « N’ayez crainte, je suis à même de vous guider jusqu’à l’eau la plus pure, la plus désaltérante. »
Ils partirent au pas de leurs montures, de belles chamelles de haute taille, rapides comme des autruches.
… Je les menai, avant l’aube (du jour suivant) à un vieux puits si malaisé à trouver qu’il défie les guides les plus éprouvés
Ils se désaltérèrent à volonté et ceux qui étaient tristes retrouvèrent la joie.
C’était l’abondance, après de sévères privations ; c’était la détente ; les uns chantaient et plaisantaient allègrement
D’autres prodiguaient des soins à leurs montures… soignaient celles qui boitaient…
… Le sort est un éternel changement :
Ne t’inquiète donc pas de ces moments difficiles
Ne triomphe pas non plus si, un jour, tous tes vœux de réussite et de bonheur sont comblés :
Combien de ceux à qui la chance sourit étaient, hier encore dans le besoin !
et combien ont tout perdu après avoir tout possédé !


* Ou ‘Idayqub : tribu de lettrés et de grands nomades… à laquelle appartient l’auteur et dont il cite plus haut trois des principales fractions (la tribu se subdivise en fractions puis en familles) : La ‘mâm, La Hwâl et Alvgha Mûsa